Dettes Covid 19 : faut-il abolir l'exemption pour gain en capital sur les résidences principales ?
Dernière mise à jour : 9 mars 2021
En matière d’impôt, le profit qu’un particulier réalise lors de la vente de sa résidence principale est un gain en capital.

Exemption de Gain en capital sur résidence principale
En matière d’impôt, le profit qu’un particulier réalise lors de la vente de sa résidence principale est un gain en capital. Lorsqu’on est propriétaire d’une seule propriété, elle constitue notre résidence principale. Peu importe le montant du gain qu’on réalise lors de sa vente, il n’a pas d’impôts à payer. La règle s’applique annuellement, par cellule familiale, sur une seule propriété. Si le particulier dispose de plusieurs immeubles, il ne peut en désigner qu’une seule au titre de résidence principale et pour laquelle il peut demander l’exemption pour gain en capital. Une règle exceptionnelle applicable tant au fédéral que dans la province du Québec puisque la norme en 2020 est que seul 50% du gain en capital est imposable.
Bref rappel Historique
Cette mesure existe depuis des décennies et a été adoptée à l’époque malgré les recommandations du Livre Blanc (Proposition de réforme fiscale) en 1972 favorable à l’imposition du gain résultant de la vente d’une résidence principale. À l’époque, le gouvernement a choisi de ne pas suivre cette proposition et opté pour une exemption totale du gain en capital. Plusieurs changements ont été depuis apportés à la mise en œuvre de cette exemption (restriction pour les non-résidents, limitation pour certaines fiducies, obligation de déclarer la vente d’une résidence), et ce, sans que le principe de la non-imposition du gain tiré de la vente d’une résidence principale par des résidents canadiens soit remis en cause.
Les raisons d’être de l’exemption
Pourquoi la loi sur l’impôt exempte-t-elle le gain en capital réalisé sur sa résidence familiale? On y voit habituellement le désir de favoriser l’accès à la propriété par les particuliers et celui de les aider à se constituer un patrimoine. En fait, pour de nombreuses personnes, le paiement intégral ou en grande partie de leur résidence principale est soit un moyen de se constituer un bas de laine pour la retraite, soit un capital supplémentaire auquel il pourrait avoir accès. L’achat d’une résidence principale est à la fois un moyen d’épargner et une forme d’investissement. Pour bien des personnes ordinaires, la valeur de la résidence familiale est devenue un véritable moyen de faire fructifier leur placement à l’abri de l’impôt. Cette stratégie est souvent utilisée par les personnes qui n’ont pas de fonds de pension conséquent ou ne dispose pas de réer ou autre régime similaire assez consistant permettant de pourvoir à leur besoin durant leurs vieux jours. Sur un plan macroéconomique, la mesure stimulerait le marché du logement résidentiel en favorisant le déplacement des individus d’une résidence à une autre. Par conséquent, l’exemption de gain en capital est un outil de planification et d’optimisation qui influencerait tant la décision d’acheter que celle de vendre sa résidence principale.
Résurgence du débat sur l’abolition de l’exemption avec la Covid 19
Pourtant, avec la pandémie de covid19, certaines voix suggèrent qu’il serait temps de mettre un terme à l’exemption du gain en capital lors de la vente d’une résidence principale. En effet, depuis la survenue du Corona virus, le gouvernement fédéral du Canada a octroyé, dans l’ensemble du pays, des prestations de diverses natures aux canadien(ne)s en vue de palier à la réduction importante ou à la perte de revenus de nombreuses personnes, familles ou entreprises. Pour le faire, des sommes colossales ont été dépensées dans le cadre de la prestation canadienne universelle, la subvention salariale et de nombreuses formes d’aides destinées autant aux parents, aux sociétés, aux entreprises et aux travailleurs autonomes. Il s’agit aussi bien d’argent liquide que d’octroi de délais supplémentaires, de subventions, de suppression de pénalités de retard, en fonction de l’âge, de l’appartenance à certains groupes et autres. Le montant des aides directes et indirectes au niveau du gouvernement fédéral s’élevait en juin 2020 à environ 763 milliards de dollars selon la firme McCarthy Tétreault. D’un niveau bien moindre, s’y ajoutent celles du gouvernement du Québec notamment en ce qui concerne les employés des secteurs essentiels ou des subventions accordées à certaines entités telles que les résidences pour personnes âgées.
La dette qui résulte de ces aides suscite des inquiétudes quant aux mesures de remboursement dont dispose le gouvernement à court, moyen ou long terme. C’est dans le cadre de cette recherche de solution qu’est apparue l’idée d’imposer le gain en capital réalisé lors de la vente de la résidence principale. Toute chose qui permettrait d'augmenter les recettes fiscales puisque le gouvernement laisse échapper des milliards de dollars en impôts chaqu’année en accordant une exemption totale sur le gain en capital réalisé sur la vente d’une résidence principale.
En effet, la crise du Corona virus est venue rappeler à certains que l’exemption du gain en capital a un coût annuel en termes d’impôts non collectés. Pour l’année 2019, des dépenses à hauteur de 5,960G$ sont directement liée à la non-imposition du gain en capital. Ce montant s’élève à la somme 1,723 milliards de dollars pour le gouvernement du Québec pour l’année 2018 selon le rapport sur les dépenses fédérales du Ministères des finances du Canada 2019 et celui des dépenses fiscales du Ministères des finances du Québec 2018.
L’abolition de l’exemption permettrait de renflouer les caisses de l’état et combler une partie du déficit créé par les dépenses liées à la Covid 19.
Mesure favorable aux détenteurs de capitaux
D’ailleurs, cette exemption créerait des injustices à l’égard des moins riches ou de ceux qui ne peuvent pas s’acheter une propriété alors les plus nantis peuvent s’offrir des maisons luxueuses et couteuses dans l’optique d’éviter l’impôt. La mesure ne profiterait qu’à une minorité de détenteur de capital car la majorité des citoyens sont des locataires qui ne peuvent profiter de cet abri fiscal. S’il est vrai qu’en général, le capital est détenu par les personnes nanties et que le citoyen moyen n'est pas riche et souvent endetté, bon nombre de canadien de la classe moyenne possède leur résidence principale et il existe de nombreux petits propriétaires. Signalons qu’à travers le monde le gain en capital fait l’objet de traitement fiscal multiple et l’exemption est quelques fois fonction du montant du revenu gagné et pas nécessairement de la nature de la propriété vendue. C’est le cas dans plusieurs pays européens qui privilégient une imposition à taux progressif. Au Québec, certains estiment qu’on pourrait imposer une partie du gain ou les montants qui dépassent un certain plafond. Mais sur quel critère se baserait-on pour déterminer la limite? 100 000 $ (voir prof. Léo Paul Lauzon) ou 200 000$ ou autres? Il faut reconnaitre qu'à bien des égards les règles et principes sont aléatoires en matière de gain en capital. Si la résidence principale a toujours été exonérée, la portion de gain en capital soumise à l’impôt a quant à elle souvent varié (1972 à 1987 : 50 %; 1988 à 1989 : 66 2 /3 %; 1990 au 27 février 2000 : 75 %; 28 février au 17 octobre 2000 : 66 2 /3 %; depuis le 17 octobre 2000 50 %). Le taux d’inclusion comme la décision d'imposer ou non un gain en capital relève alors essentiellement d’un choix politique.
De l’opportunité de l’aide en période de pandémie
Les dérapages et les fraudes liés aux aides ont fait l'objet de nombreuses critiques sans compter les craintes quant aux effets pervers sur le fonctionnement normal de l’économie à la fin de la pandémie. Cela dit, s’il n’avait pas eu ces aides de la part du gouvernement, que se serait-il passé dans l’économie? Y aurait-il eu davantage de fermeture d'établissements, de faillites personnelles ou corporatives qu'il n'y en déjà? Les pertes d’emploi n'auraient elles pas été plus importantes? N'aurait-t-on pas eu des coûts supplémentaires pour le système de santé ou celui de l'assurance emploi? Le PIB n'aurait-il pas reculé? La situation des personnes âgées n'aurait-t-elle pas été plus précaire et problématique qu'elle ne l'est déjà? N'aurait-t-on pas enregistré encore plus de pertes de productivité? L'impact pour les couches les plus pauvres et défavorisées ne serait-il pas plus grand? Si l’on peut contester la forme et les montants déboursés, la nécessité de l’aide ne devrait peut-être pas être profondément remise en cause.
Le poids de l’endettement
La question véritable est alors de savoir qui et comment va-t-on rembourser les montants ainsi dépensés ? La réponse à la première partie de la question est simple : nous allons tous devoir restituer la dette ainsi créée.
Cela dit, si l’abolition de l’exemption du gain en capital est présentée comme une solution, les propriétaires se demanderont pour quelle raison ils seraient les principaux contribuables à subir les conséquences de l’endettement du pays ? Par ailleurs, cette mesure va-t-elle réellement atteindre les objectifs qui lui sont assignés? Quelles autres mesures fiscales l’accompagneront éventuellement? Quel impact sur le fardeau fiscal des canadiens en général? Quelle est la couche de la population qui sera alors la plus durement touchée?
Autant de questions qui méritent réflexion.
Vous sentez-vous concerné par une telle mesure ? Avez-vous bénéficié d'une quelconque aide liée au Covid 19 et être propriétaire de votre résidence principale et serez impacté par ce changement? Êtes-vous disposé à abandonner l'exemption ? Cette mesure vous parait-elle juste ?
Quel rôle l'exemption a -t-elle joué au moment d'acheter ou de vendre votre résidence familiale ?
NDLR: Cet article est également publié sur le site internet de Joelle Manekeng Tawali : joellemanekengtawali.com